Perspectives de première ligne: comment Advans Côte d’Ivoire gère la crise du COVID-19

Découvrez ci-dessous une interview de Mariam Djibo, DG d'Advans Côte d'Ivoire, initiallement publié sur le site de l'European Microfinance Platform. 

e-MFP: Quelle est la situation actuelle en ce qui concerne la santé publique et l’économie dans votre pays par rapport au Covid-19 ?

Mariam Djibo: À ce jour, 2 477 cas ont été confirmés, dont 95% à Abidjan, et 30 décès. Le gouvernement a construit plusieurs centres de test à Abidjan et commandé 200 millions de masques. Compte tenu des statistiques disponibles et de l'impact potentiel d'une forte crise économique, les restrictions des rassemblements ont récemment été levées et des écoles ont été ouvertes en dehors d'Abidjan. Depuis le 15 mai, certaines restrictions ont été également assouplies à Abidjan. En termes d'impact de la crise sur l'économie, le gouvernement estime que la croissance du PIB pour 2020 sera en baisse à 3,5% contre 7%. Les PME et le secteur informel seront parmi les plus touchés par la crise en raison (i) des perturbations de la chaîne d'approvisionnement avec la fermeture des frontières, (ii) de la baisse de la demande des consommateurs pour les biens non essentiels, (iii) de la fermeture de différents types d’entreprises (comme les hôtels et les restaurants) en raison des restrictions gouvernementales.

Tous nos clients seront touchés, même à des degrés différents. Notre analyse montre que 33% seront sévèrement impactés (hôtels, restaurants, écoles, commerces de vêtements, coiffeurs…), 45% connaîtront un impact modéré. Pour 15%, il n'y aura pas de conséquences négatives et ces clients pourraient même bénéficier de la situation (comme la distribution alimentaire ou les détaillants télécoms). Les activités commerciales sont impactées par des interruptions de la chaîne d'approvisionnement des produits importés (en provenance de Chine / Europe / Dubaï), les activités de transport sont aux prises avec le confinement et la réduction des mouvements, les activités agricoles seront affectées par un manque inévitable de demande internationale (noix de cajou, cacao, coton), alors que toutes les activités souffriront d'une baisse des dépenses de consommation. Chaque micro-entrepreneur a entre 5 et 10 personnes à charge ;une baisse des revenus pour un individu aura donc un effet multiplicateur.

e-MFP: Comment avez-vous soutenu vos clients et vos collaborateurs pendant la crise ?

MD: La protection de nos collaborateurs et de nos clients est notre principale préoccupation et notre priorité absolue depuis le début de la crise. Nous avons sensibilisé le personnel aux mesures préventives, en fournissant des équipements médicaux de protection tels que des gels hydroalcooliques, des gants et des masques; nous avons également installé des lavabospour se laver les mains devant les agences. Afin de limiter l'exposition du personnel, les visites sur le terrain ont été suspendues, le nombre d'agents dans les agences a été réduit à 30% avec deux équipes travaillant en rotation. 50% du personnel du siège travaille à distance et les autres ne sont physiquement présents que 2 ou 3 jours par semaine. Nous avons maintenu tous les postes actuels et le paiement des salaires. Nous nous sommes également concentrés sur notre communication interne avec des mails réguliers de la direction, des groupes WhatsApp facilitant la communication à tous les niveaux et à travers l'entreprise et des réunions en ligne sur Zoom. Notre équipe RH a appelé individuellement l'ensemble de nos 600 collaborateurs pour les rassurer et écouter leurs besoins et retours d'expérience.

La sensibilisation des clients aux mesures préventives a également été une priorité majeure avec le partage d'informations dans les agences ainsi que sur les réseaux sociaux. Pour éviter que les clients ne viennent inutilement dans les agences, nous avons fait la promotion de nos canaux alternatifs tels que le service Mobilité et nos services d'agents tiers.

Nous avons introduit des périodes de grâce pour les prêts en cours afin d'aider nos clients à traverser la crise en allégeant le fardeau du remboursement de leurs prêts. Nous sommes également restés en contact permanent avec nos clients grâce à des appels réguliers. L'objectif principal de ces appels est de s’enquérir de leur santé,comprendre  comment leur activité est affectée par la crise et  mieux comprendre leurs besoins à l'heure actuelle. Cela a été facilité par la mise en œuvre d'un nouvel outil de suivi digital qui nous permet de planifier les appels de suivi et de sauvegarder les informations client sur un smartphone.

Une mesure cruciale pour soutenir nos clients agricoles a été le financement ininterrompu de la campagne d'intrants agricoles (l'application d'engrais et de produits phytosanitaires ne peut pas être retardée) et la poursuite de notre programme d'inclusion financière pour les producteurs de cacao. Enfin, nous avons également développé une offre de crédit d'urgence dédiée, Advans Oxygène, pour accompagner nos clients ayant besoin d'aide pour leurs dépenses personnelles.

e-MFP: Quel type de soutien (financier ou autre) avez-vous reçu de vos investisseurs, bailleurs de fonds, d’autres partenaires ?

MD: Il semble y avoir un objectif partagé dans l’industrie de soutenir les clients de la microfinance et donc les institutions de microfinance à travers cette crise. Nos partenaires nous soutiennent et ont clairement indiqué que, si nous en avions besoin, un financement supplémentaire potentiel ou une flexibilité sur les engagements financiers sera possible. Certains nous proposent aussi des lignes d’assistance technique pour financer des projets spécifiques liés à la crise ou des besoins nés de la crise : digitalisation de nos process, sécurisation informatique, formation en ligne…

e-MFP: Quelle est la réponse collective des  décideurs, régulateurs, ou réseaux pour protéger le secteur de l’inclusion financière dans votre pays ?     

MD: 40% de la population de Côte d’Ivoire est bancarisée grâce aux institutions de microfinance et aux entreprises de télécommunications. Les transferts de fonds inférieurs à 5 000 FCFA sont désormais gratuits et les seuils de transactions d'argent mobile ont été relevés. Par ailleurs, le gouvernement a lancé une campagne pour limiter l’augmentation des prix des denrées de premières nécessités. Il y a également des discussions ouvertes entre le régulateur et l’Association des microfinances sur la meilleure façon de soutenir les acteurs de la microfinance pendant la crise et des options supplémentaires de financement pour les IMF des banques locales.

Certaines des mesures concrètes introduites pour soutenir les entreprises comprennent:

  • Un fonds spécial pour le secteur informel : 20 milliards FCFA (versement de 75000 FCFA par trimestre à 177 000 ménages pour un total de 13 milliards FCFA à partir de mai 2020– par versement mobile money)
  • Un fonds spécial pour les PME : 40 milliards FCFA
  • Un fonds spécial pour l’agri : 50 milliards FCFA
  • Un fonds de solidarité : 50 milliards FCFA
  • Un fonds pour les grandes entreprises : 30 milliards FCFA

e-MFP: Quels sont les priorités pour soutenir et protéger vos clients des conséquences de la crise économique ?

MD: Nous continuerons à communiquer sur les mesures protectives et à les appliquer dans nos contacts avec nos clients afin de nous assurer qu'ils restent en sécurité. Nous nous assurons de rester en contact étroit avec nos clients pour comprendre leurs besoins et comment la crise les affecte personnellement et commercialement afin que de les soutenir au mieux en ces temps difficiles. Les retours clients nous aident déjà à développer de nouvelles offres adaptées à leurs besoins actuels telles que des crédits d'urgence, des renouvellements et des prêts complémentaires pour les entreprises des secteurs essentiels. À la sortie de la crise, nous continuerons de travailler sur des produits de crédit et d'autres services sur mesure afin de répondre aux besoins de nos clients au moment où ils redémarrent au mieux leurs activités. Nous espérons que le gouvernement et nos partenaires soutiendront nos efforts avec des mécanismes de financement ou de garantie au fur et à mesure que le profil de risque des clients concernés augmentera.